En 1774, Angélique Hossé soumet une requête auprès du Conseil privé pour casser un arrêté administratif ayant autorisé ses voisins à construire un chemin d’accès privé traversant sa plantation de café. Ce conflit engageait-il réellement une question de race ? Hossé, la mère du futur « quarteron » révolutionnaire Vincent Ogé, ne fait référence ni à sa couleur de peau ni à sa généalogie dans sa pétition. Elle se désigne uniquement comme veuve. Au contraire, ses opposants en justice la qualifient sans cesse de « mulâtresse » rebelle. Les historiens doivent-ils respecter son silence ou reprendre – au risque de renforcer – la rhétorique d’exclusion de ses adversaires ? Hossé était-elle une « mulâtresse » ? Plutôt que de se pencher sur son « statut racial » en tant que tel, cet article s’appuie sur le litige pour étudier les pratiques sociales, juridiques et administratives par lesquelles l’identification raciale était contestée à Saint-Domingue au xviii^e siècle. Relatant d’abord le contentieux du point de vue de Hossé avant de l’analyser comme un conflit portant sur les servitudes légales et le droit de propriété, l’article replace la stratégie rhétorique de Hossé dans les évolutions des débats coloniaux et impériaux sur les significations de la couleur, de l’esclavage et de la race. Il montre comment les adversaires de Hossé, en racialisant le litige aux yeux du Conseil du roi, sont parvenus à le précipiter dans un trou noir administratif, contrecarrant ainsi la quête de justice qui lui présidait. Tout en révélant la dynamique pratique de la racialisation coloniale et impériale française du xviii^e siècle, l’histoire du procès de Hossé éclaire simultanément les origines sociales de la Révolution haïtienne.