Du danger des enquêtes savantes. Faire œuvre de science dans l’entre-deux-guerres au Bureau International du Travail

Des statistiques très politiques
Par Marine Dhermy-Mairal
Français

En 1921 éclate une controverse au conseil d’administration de l’Organisation Internationale du Travail. Portant sur les compétences du Bureau en matière d’enquêtes, elle oppose les partisans d’une étude systématique des causes des maux économiques et sociaux et de leurs remèdes, à ceux d’une simple centralisation des documents produits par les États-membres. En cause, une vaste enquête statistique menée de 1920 à 1924 par Edgard Milhaud, un professeur d’économie politique recruté par Albert Thomas : l’Enquête sur la production. La méthodologie de l’auteur, guère plébiscitée par le milieu patronal qui souligne le manque de scientificité et d’objectivité de l’enquête, suit une conception positiviste des sciences sociales où se lit l’importance accordée à la méthode durkheimienne d’analyse des phénomènes sociaux. Les critiques à l’égard de cette enquête manifestent un va-et-vient constant entre arguments scientifiques et convictions idéologiques des interlocuteurs, entre orthodoxie libérale et socialisme. Jugée trop socialiste, trop économique et trop peu scientifique par ses contempteurs, l’Enquête sur la production aurait pu ne pas voir le jour et fut la dernière enquête de cette ampleur. Ces analyses montrent que les activités savantes, traditionnellement étudiées par le biais de l’organisation scientifique du travail ou de l’expertise technique, peuvent aussi être pensées en termes d’autonomie relative, ce qui permet de mettre en valeur les formes concrètes de co-production du savoir par des fonctionnaires tout aussi savants que bureaucrates.

MOTS-CLÉS

  • Organisation Internationale du Travail
  • entre-deux-guerres
  • sciences sociales
  • enquête scientifique
  • controverse
  • production
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