Histoire d'une peur urbaine : des « piqueurs » de femmes sous la Restauration

Ordre et désordres publics
Par Emmanuel Fureix
Français

En 1819 naît une nouvelle catégorie de déviants, les « piqueurs » de femmes. En cinq mois, quelque 400 victimes – pour l’essentiel des jeunes femmes – se plaignent d’avoir été piquées, à l’aide d’aiguilles ou d’autres instruments, par des inconnus dans l’espace public de la capitale. Le fait divers devient événement et se publicise à partir de novembre 1819, notamment par la presse et la caricature. Il catalyse une intense peur collective, rapidement diffusée en province où des gestes analogues sont observés. Des rumeurs se greffent aux faits attestés et tendent à politiser des gestes fantasmés. À la croisée de l’histoire des perversions sexuelles, des rumeurs et des imaginaires politiques, émerge ainsi un objet d’histoire déroutant, brouillant les limites de la fiction et du témoignage, du fait divers dérisoire et de la manipulation politique, de la pulsion perverse et du jeu.
L’article propose une anthropologie historique de cette peur urbaine éphémère, rapidement effacée par l’assassinat traumatique du duc de Berry, qui intervient quelques semaines plus tard, le 13 février 1820. Cette peur dévoile la vulnérabilité du corps des femmes dans un espace public urbain en recomposition. Elle s’exprime à travers des formes de « panique morale » mais aussi par des rumeurs qui imputent une causalité bien identifiable – le complot politique ou policier – à un phénomène vraisemblablement multiple. À ce titre, l’affaire des piqueurs, partie d’une inscription sur le corps des femmes, dévoile une politisation intense des gestes commis dans l’espace public, à un moment de grande conflictualité.

MOTS-CLÉS

  • anthropologie historique
  • Restauration
  • France
  • peur urbaine
  • rumeur
  • perversion sexuelle
Voir l'article sur Cairn.info