Repenser le chartisme

Politiques du travail
Par Gareth Stedman-Jones
Français

Cet article remet en cause l’interprétation du chartisme qui a dominé depuis la fin du XIXe siècle et trouve sa première formulation dans les écrits de Carlyle et Engels dans les années 1840. Selon cette interprétation «sociale», l’utilisation d’une terminologie de classe par les chartistes traduisait l’émergence d’une nouvelle conscience de classe au sein du mouvement ouvrier en réponse à la «Révolution industrielle». En réalité, la formulation des revendications et des exigences chartistes, y compris à travers l’utilisation d’une terminologie de classe, appartient tout entière au langage du radicalisme.Ce langage, qui datait du milieu du XVIIIe siècle, était dirigé non contre les employeurs mais contre l’État. Son principal présupposé était que la misère de la partie industrieuse de la nation était due à la monopolisation du pouvoir et de la représentation politique par ceux qui détenaient la propriété privée. Les autres formes du discours contestataire de cette période – le trade-unionisme, la coopération, l’owénisme, mais aussi ce qu’on appelle abusivement le «socialisme ricardien» – n’étaient pas plus proches d’une conscience de classe de type marxiste que le radicalisme. La nouveauté que représente le chartisme consiste en deux points principaux. Après 1832, premièrement, le «peuple» fut de facto assimilé à la «classe ouvrière», le seul groupe qui restait exclu du droit de vote. En second lieu, l’oppression du peuple par l’État n’était plus symbolisée par les impôts iniques ou par les privilèges, mais plutôt par l’idée qu’on utilisait la loi pour intensifier la concurrence entre les travailleurs afin de baisser les salaires. Or, vers la fin des années 1830, l’État abandonna sa politique simplement répressive. À travers la baisse des impôts indirects, la limitation du temps de travail dans les mines et dans les usines,l’abolition des lois sur le blé et les politiques éducative et de santé, il prouvait qu’une réforme était possible à l’intérieur du cadre législatif existant. C’est donc la réforme de l’État qui conduit à la désintégration du chartisme, bien avant les années de prospérité du troisième quart du XIXe siècle.

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