Discours pluriel et histoire singulière ( 1870-2000)

Les « classes moyennes » en France
Par Christophe Charle
Français

Christophe CHARLE Les «classes moyennes» en France, 1870-2000. On propose ici une autre voie d’étude des classes moyennes: l’histoire des mots, du sens variable qu’on leur donne selon les contextes et les nécessités d’énonciation. La culture du flou et de l’ambivalence autour de cette notion n’est pas seulement l’effet de son flou et de son ambivalence objectifs, elle tient surtout à l’histoire accumulée des sens suc~cessifs qu’elle a revêtus et à ses usages contra~dictoires dans les divers secteurs du champ politique. On soutiendra que : 1) Le pluriel convenait bien à un pays où ce groupe pesait plus qu’ailleurs, pour des raisons politiques liées à la IIIe République. Son ambiguïté autorisait un consensus et pre~nait en charge plusieurs des mythes fondateurs du « compromis républicain » : individua~lisme, foi dans la mobilité sociale, attachement à la petite propriété et hostilité aux privilégiés. 2) La dynamique sociale française met l’accent précocement (au moins dans les représentations mythifiées) sur l’aspiration à l’égalité et, notamment, à l’égalité des chances par le jeu d’une montée par étape dans diverses filières identifiables.Dans les périodes où ce projet social dynamique apparaît le plus problématique, le discours de défense des classes moyennes devient plus précis (Entre-deux-Guerres, fin des années 50, période très récente). Dans les périodes de basses eaux idéologiques et de moindre tension sociale (1960-1970), prévaut au contraire une vision vague et ambiguë. On distingue ainsi trois grandes périodes: au moment de l’établissement de la Troisième République, la spécialisation de la forme plurielle dans le sens moderne de classes moyennes se met en place. Du début du XXe siècle jusqu’aux années 1970, alter~nent les usages politiques ambigus de ce plu~riel, selon des invariants remarquables en dépit des transformations sociales. En revanche, depuis les années 1970, se déve~loppe un nouveau processus de dissociation en raison du changement de climat écono~mique, de la poussée décisive de la scolarisa~tion secondaire et supérieure et de la féminisation des emplois supérieurs. Dans un contexte de crise politique, le discours tradi~tionnel de rassemblement s’avère de plus en plus fragile. C’est l’une des manifestations de la crise des représentations des classes moyennes, qu’on entende ce terme au sens politique ou sociologique.

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